Petit souvenir de Phot'Aubrac.
Un jour d’automne chez Laurence.
Faut dire que chez Laurence on est bien.
La maison est faite de pierres de granite.
A l’étage quatre chambres.
Dessous un salon de thé, à la fois pièce de rencontre et lieu d’exposition.
J’y ai collé mes photographies d’Aubrac pour l’été, car c’est ici que se déroule cette histoire, sur ce plateau du massif central si singulier. Alto pour haut et braco pour humide, parait-il, tout est dit.
Au début de l’automne, les images que les curieux viennent regarder envahissent les salles des villages, les places, les étables des fermes et même les églises.
Je suis assis dans un fauteuil.
Deux dames entrent dans la pièce, regardent quelques photographies et s’assoient à une table, une fois la commande du thé d’Aubrac passée.
Il est 16 heures, la première se lève.
Elle parcourt la salle dans le sens anti horaire et regarde mes photographies. « Viens voir », dit-elle à son amie.
« Je crois que je vais prendre deux photos pour ma fille » lui confie-t-elle.
Faut vous dire que s’il y a beaucoup de photographes sur le plateau, c’est que c’est jour de festival. L'événement s'appelle Phot'Aubrac.
Et Jean Pierre, qui l’organise avec son ami Maurice, il veut que ce soit gratuit, le festival. Maurice fait chaque année un catalogue qui a sa place dans ma bibliothèque.
Alors, on peut rentrer partout pour lorgner sur les images. Certaines s’affichent même à l’extérieur, sur les murs ou quelque présentoir confectionné pour l’occasion.
Les photographes, ils ne sont pas payés pour montrer leur travail, mais ils peuvent échanger leur bout de papier coloré ou en noir et blanc contre un autre bout de papier… parce que pour les mettre dans la boîte, les images, il faut avoir la boîte et toutes les lentilles qui vont devant, qu’il faut se déplacer, se loger, que l’image elle n’est pas faite que de papier et d’encres.
Deux photographies, c’est bien, c’est beaucoup, cela ressemble à un coup de coeur.
Alors la dame prend son temps, elle dit qu’elle va les choisir.
Je reste assis dans le fauteuil.
Elle montre une image : « Celle-là je la prends ».
Vous savez, c’est une image avec des arbres et une maison à un étage qui s’appelle évidemment « Une maison à deux étages ».
Je me souviens j’étais allongé par terre, un 31 décembre tôt le matin. La lumière perçait les nuages après une nuit froide comme on en connaît l’hiver sur le plateau blanchi de givre.
Bernard m’a dit que c’était la maison des cantonniers. Il connait tout le monde et chaque parcelle du plateau. Et tout le monde le connaît évidemment. Si vous passez sur le plateau, que vous avez faim ou que vous cherchez à dormir, demandez à Bernard, ou alors au maire...
Un monsieur passé le matin m’a grondé de ne pas savoir ce qu’était un étage, que là il n’y en avait pas deux, que fallait pas écrire n’importe quoi. Je lui ai dit moi, que Robert accompagné de son âne, il avait écrit deux, pas un mais deux.
Bon voilà que la dame est retournée s’asseoir, elle a commandé un autre thé, mais avec une part de gâteau. Il vous réveille les papilles, je l’ai gouté ce matin.
Il est 16 heures, j’aurais pris une crêpe. C’est que Fabienne, qui s’occupe du lieu avec Laurence, a des origines crêpières je crois, alors c’est qu'elles sont bonnes ses crêpes sur lesquelles elle dépose un jus de citron fraîchement pressé.
Je suis toujours bras posés dans le fauteuil.
Le gâteau fini, la dame se lève à nouveau et recommence son tour de salle.
Elle s’arrête devant chaque photographie, marmonne quelques mots que je ne comprends pas. Puis, à la cantonade, répète « Celle-là je la prends ».
Puis rajoute « Il faut que je trouve la deuxième, ma fille sera contente ».
Je me dis qu’elle aura pas choisi son image, sa fille. C’est bizarre de choisir une image sans savoir si ce sera apprécié, mais c’est parfois le destin des cadeaux colorés. Et si la dame en choisit deux c’est sûrement pour cette raison.
Moi ça me convient. Je suis prêt à me lever. Une ou deux photographies vont continuer à vivre sur un mur, dans un appartement, une maison et raconter des histoires.
« Voici la deuxième, ah oui je prends aussi celle-là pour ma fille » dit-elle a son amie.
Je me lève.
Je suis toujours prêt à répondre aux questions et j’apprécie les échanges avec les promeneurs. Je suis resté assis cette fois et ne suis pas certain d’avoir été identifié comme auteur des clichés.
Je me lève, donc.
Je m’approche lentement vers la dame qui répète : « Je vais prendre ces deux pour ma fille, qu’en penses-tu ? ». Son amie acquiesce. Elles sont de dos.
Je vais ouvrir la bouche.
Clic...
Clic...
Ce bruit m’est familier.
Un téléphone dans la main, la dame prend deux photos pour sa fille.
A tout hasard, j’interromps les complices, sors une carte de ma poche, sur laquelle il est inscrit tout ce qu’il faut, et dis qu’il y a un site internet qui présente mon travail et que les images y seront de meilleure qualité.
Elle me regarde et sans malice me répond : « Oui, mais là c’est moi qui les ai prises ! ».
Le fauteuil m’attend.
Une lumière bleue annonciatrice de l’aurore
Aubrac, 31 décembre 2016
Écrire commentaire